Vous avez pris à bras le corps le sujet de la ville. Pourquoi cet intérêt?
Bertrand Piccard : Les villes sont responsables de 75% des émissions globales de CO2, mais il faut rappeler qu’elles génèrent aussi 80% du PIB mondial. Face au changement climatique, leur pouvoir décisionnel est donc majeur. Premières génératrices d’activités économiques, elles sont en effet bien placées pour exploiter toutes les opportunités de la transition écologique.
Si l’on considère l’augmentation de la population mondiale et l’évolution prévisible de l’exode rural d’ici 20 ans, on estime qu’il sera nécessaire de construire tous les quatre mois une ville d’une taille équivalente à Manhattan ! Cet ordre de grandeur astronomique risque d’annihiler les efforts environnementaux réalisés dans les autre secteurs. C’est une raison supplémentaire pour décarboner l’industrie du bâtiment, mais aussi un élément de réponse pour comprendre l’affolement des spécialistes du domaine qui ne savent pas par où commencer.
À force d’utiliser les mêmes manières de construire, on tend à oublier qu’il en existe d’autres, qui sont bien plus efficientes et beaucoup moins chères. On peut alors choisir de se lamenter et d’essayer de résister au changement le plus longtemps possible ou, au contraire, de chercher son intérêt économique dans la nouveauté et évoluer.
À la COP 27, vous avez dévoilé votre « Guide de Solutions pour les villes ». De quoi s’agit-il ?
En résumé, le Guide de Solutions pour les villes montre comment des solutions peuvent être mises en œuvre de manière rentable pour aider les villes à accélérer leurs plans de décarbonisation. Il vise à débloquer le potentiel des agglomérations, en se basant sur des exemples concrets, où des technologies propres ont contribué à résoudre des défis importants.
Il se concentre sur les principaux défis auxquels sont confrontés les maires, les administrations publiques, les entreprises privées et les citoyens pour faire progresser l’adoption de solutions climatiques dans les villes, avec des études de cas de solutions labellisées qui ont été testées ou mises en œuvre avec succès.
Il identifie également les obstacles qui freinent l’adoption des solutions à grande échelle et oriente les décideurs pour les aider à surmonter ces obstacles.
Quelles innovations vous semblent particulièrement porteuses d’impact en matière environnementale ?
Je pense par exemple à un béton utilisant 100% de gravats de démolition recyclés, à des panneaux d’isolation à base de biomasse, à des vitres capables de réguler la température des bâtiments, au recyclage des eaux grises, à la connexion des véhicules électriques au réseau, à des pompes à chaleur géothermiques utilisables en ville, ainsi que des systèmes de gestion optimisée de l’énergie.
Vous parlez d’obstacles à la généralisation de solutions à grande échelle ? Sont-ils d’ordre technologique ou politique ? Comment les surmonter ?
Tout d’abord, les solutions ne sont pas encore suffisamment connues. Les problèmes effrayants font toujours plus parler d’eux que les solutions rassurantes. Même des ministres auxquels je les présente m’avouent ne pas les connaître.
D’autre part, les législations n’ont pas évolué à la même vitesse que les technologies et elles favorisent, malgré elles, l’emploi de procédés archaïques qui gaspillent et polluent. Il faut moderniser nos lois aussi rapidement que la technologie évolue. Aujourd’hui, nous avons fait énormément de progrès : nous sommes plus efficients, nous recyclons nos déchets, et bien plus encore. Mais nos lois permettent encore d’agir de manière nocive pour le climat, et c’est un problème. Les entreprises peuvent polluer autant qu’elles veulent et se réfugier derrière l’excuse que c’est légal.
Quand le climat change, les lois doivent changer ; non pas à coup d’interdictions ou de sacrifices, mais par la promotion d’un fonctionnement plus vertueux rendu possible par des solutions techniques.
La notion d’efficience est au cœur de votre discours. La ville d’aujourd’hui est-elle inefficiente ? Qu’est-ce que représente pour vous l’efficience ?
L’inefficience est partout, pas seulement dans les villes, mais il est clair qu’avec une contribution de 75% de CO2, elles ont un rôle majeur à jouer dans l’accélération de l’implémentation de solutions plus efficientes.
Économiser l’énergie est une priorité. Mais, aux privations trop souvent associées à la sobriété, je préfère parler d’efficience. Ici, l’objectif est simple : faire mieux avec beaucoup moins. Cela ne signifie pas pour autant lutter contre la sobriété, mais faire preuve de réalisme en privilégiant la transition vers de nouvelles solutions.
L’efficience engendre donc une diminution avec un bénéfice, alors que la sobriété engendre cette diminution avec un sacrifice. Bien sûr qu’il faudrait les deux en parallèle, mais admettons que pour convaincre les opposants à l’écologie, pour motiver les mondes industriels et économiques, l’efficience n’est pas associée aux privations comme l’est la sobriété, et elle donne des résultats directement rentables, avec de nouveaux atouts industriels.
Crédit photo à la une : Bertrand Piccard @ Solar Impulse, Jean Revillard, Rezo