Generic selectors
Exact matches only
Search in title
Search in content
Post Type Selectors
0%

arrow-title Transition urbaine

La Défense contre-attaque

 Transition urbaine Image

Publié le : 26.01.23

Temps de lecture 6 min

PARTAGER CET ARTICLE
Capture d’écran 2023-01-11 à 21.06.16

Brice

Piechaczyk

ARCHITECTE FONDATEUR D'ENIA ARCHITECTES

Télétravail, empreinte écologique, risque d’obsolescence… le plus grand quartier d’affaires d’Europe questionne son avenir et a annoncé s'engager dans la voie du “post-carbone”. L’Établissement public a ainsi lancé à l’automne 2022 « Les États généraux de la transformation des tours ». Pour l’Université de la Ville de Demain, Brice Piechaczyk, associé fondateur d’enia architectes, revient sur l'histoire et les défis de La Défense.

Inscription à la newsletter

Que représente La Défense en Île-de-France ?

Il faut bien comprendre que La Défense est une extraordinaire concentration de valeur : 50 milliards d’actifs d’abord, sur 150 hectares à peine. Plus spectaculaire encore, La Défense concentre 10% des bureaux franciliens (3,5 millions de m²) sur 0,01% du territoire régional, soit un rapport de densité de 1 à 1000. C’est aussi, bien sûr, une concentration humaine, de salariés notamment (180 000) et, dans une moindre mesure, de résidents (22 000) sur un territoire très peu étendu. Symboliquement, c’est une skyline que l’on aperçoit partout depuis l’Ouest parisien et les Hauts-de-Seine, mais aussi depuis Cergy-Pontoise ou la plaine de Roissy.

Comment est née l’idée de bâtir un quartier d’affaires à cet endroit précis ?

Contrairement à ce que l’on imagine, ce n’est pas Charles de Gaulle qui a initié la planification de La Défense. L’idée remonte plutôt à la 4ème République, sous Vincent Auriol. À l’époque, au milieu d’un grand rond-point, trône la statue La Défense de Paris. Autour, on trouve des tissus industriels et des bidonvilles, qu’un projet d’autoroute vers l’ouest vient scinder en deux. Dans le même temps, on cherche à créer un nouveau lieu de travail pour les Parisiens. Le Corbusier développe de son côté plusieurs versions de son plan de transformation destiné notamment à proposer des bureaux modernes au cœur de Paris (les suites du Plan Voisin). Le projet de quartier d’affaires à La Défense constitue alors une réponse plus consensuelle à cette tertiarisation.

Comment qualifier la genèse de La Défense au moment de sa conception ?  

En 1964, l’Établissement public pour l’aménagement de la région de la Défense (EPAD) choisit De Mailly, Camelot et Zehrfuss pour réaliser le plan du quartier, issu en partie de la charte d’Athènes avec une réflexion sur la séparation des flux, la sectorisation, tout en incluant une certaine mixité. L’idée était de concevoir un projet urbain équilibré avec des logements dessinés dans une version modernisée du Palais Royal avec des jardins intérieurs et un espace public de 15 hectares : l’esplanade centrale. En dialogue avec ces logements, les immeubles de bureaux étaient disposés sur les franges du quartier.

Plan d’aménagement du quartier de La Défense. Robert Camelot, Jean de Mailly, Bernard-Henri Zehrfuss, architectes

Le plan était pensé pour dessiner une skyline homogène, dont les composantes devaient culminer à 100 mètres de hauteur maximum. Ces contraintes ont été rigoureusement suivies : jusqu’aux années 1970, les immeubles font le même gabarit : la Tour Nobel (actuelle Tour Initiale) inaugurée en 1966, devient le prototype de la tour de bureaux de cette époque.

Et ensuite ?

À la planification rigoureuse succède le lâcher-prise. Dès les années 90, les surfaces de bureaux construites excèdent les objectifs fixés, de nouvelles tours se construisent hors gabarit. Le Plan de Renouveau de 2006 revoit les seuils de construction à la hausse pour, finalement, ne faire que rattraper la réalité.

À plusieurs titres, les années 1990 sont déterminantes : l’immobilier se financiarise et La Défense n’obéit qu’au règlement national d’urbanisme (RNU) faute de plan d’occupation des sols. Dans ce contexte, les investisseurs et les promoteurs vont combler les interstices, allant au-delà des 100 mètres prescrits par le plan de 1964. Ce qui est assez surprenant, c’est que le résultat n’est pas si éloigné des visions prospectives et planifiables de la ville des années 70-80, lorsque Jean Claude Bernard proposait son concept de ville totale ou Archigram, sa walking-city. Ce processus hasardeux a fabriqué quelque chose d’assez exceptionnel: la skyline de La Défense, sur laquelle près d’une centaine d’architectes ont travaillé, fabriquant l’une des plus spectaculaires et surprenantes expositions d’architecture au monde.

Quel est le bilan des émissions carbone du quartier ?

Quelques calculs rapides nous permettent d’approximer ce que l’on pourrait nommer « la dette carbone » de La Défense. Sa construction a nécessité environ 9 millions de tonnes de CO2 soit l’équivalent de 25% des émissions de la construction de bureaux en Île-de-France, pour seulement 8% du volume total.

Selon nos estimations, si l’on compte l’amortissement des infrastructures, on peut estimer le coût carbone du quartier à 12 tonnes par usager par an soit 3 fois plus que dans le parc tertiaire traditionnel. Il faut toujours prendre ces chiffres avec précaution mais ils montrent l’ampleur de « l’investissement ».

Alors, comment l’engager sur la voie du bas carbone ?

Nous avons une responsabilité collective à conférer une valeur d’usage à cet investissement carbone considérable. Laisser des immeubles vides à La Défense constitue une aberration environnementale plus que partout ailleurs.

« Laisser des immeubles vides à La Défense constitue une aberration environnementale plus que partout ailleurs. »

La Défense a traversé de nombreuses crises. En réalité, chaque crise nationale a fait trembler le quartier compte tenu de la concentration d’actifs qu’il abrite.  Or je pense que le principal moteur de la résilience est de transformer des bureaux en habitat. D’abord, nous avons besoin de logements, ce qui n’est pas un secret.  Si l’on transformait annuellement une centaine de milliers de m² de bureaux libres en logements, on soulagerait considérablement la tension du marché immobilier en Île-de-France. D’autre part, le résidentiel est bien moins financiarisé que l’immobilier tertiaire, donc moins soumis aux aléas économiques.

Il faut souligner que La Défense dispose du plus important hub de transport français : comment rentabiliser cet atout ? Des chiffres récents montrent que la part des déplacements liés au travail a drastiquement baissé depuis la crise sanitaire. Il vaut donc mieux disposer d’un réseau de transports dense près des lieux de résidence pour mieux décarboner les déplacements quotidiens.

Vous dites que La Défense a traversé bien des crises. Qu’en est-il de la pandémie de Covid-19 et de la massification du télétravail ?

Amortir la « dette carbone » du quartier – en amenant de nouveaux “résidents” – permet justement de pallier la baisse de fréquentation des tours de bureau.

Mais de quoi parle-t-on au juste ? Aujourd’hui, le taux de vacance atteint 15% environ, contre une moyenne nationale de 7,5% et 2% dans le quartier central des affaires parisien. Ce chiffre de vacance n’intègre pas les bureaux vides des entreprises qui attendent encore pour affiner leur stratégie immobilière. Il faut néanmoins relativiser ce chiffre puisque le stock de bureaux (volume de l’offre de mètres carrées de bureaux) avait beaucoup augmenté ces dernières années : +50% entre 2018 et 2022. Le quartier a relativement bien absorbé les nouveaux mètres carrés commercialisés. En revanche, les zones de bureaux autour de la Défense, se vident dangereusement au profit du quartier d’affaires considéré plus attractif.

Quant à la fréquentation des transports publics, elle était 35% en-dessous du niveau pré-Covid à la mi-2022. L’ouverture de la ligne Eole et de la ligne 15 du Grand Paris Express risque d’aggraver cette sous-fréquentation.

Comment les urbanistes et les architectes se mobilisent pour transformer La Défense ?

Sur le bâti, les tours les plus anciennes, qui n’ont encore pas été réhabilitées, doivent faire l’objet d’études approfondies pour éviter leur démolition et réduire leur empreinte carbone liée au fonctionnement. Collectivement, nous devons également nous interroger sur le type d’usage pertinent dans ces tours d’ancienne génération : espaces de bureau, campus de formation, hôtellerie… ou, comme je le pense personnellement, de l’habitat sous différentes formes (résidentiel géré, logement étudiant, coliving). Ces études et ces réflexions sont au menu des États généraux de la transformation des tours, conduits par Paris La Défense.

Sur l’espace public, Paris La Défense a lancé des travaux importants depuis une dizaine d’années. Récemment, le paysagiste Michel Desvignes a conçu le projet du « Parc », une trame paysagère et végétale de 5 hectares sur la dalle, une manière d’améliorer la désirabilité du quartier. Avec mes consœurs et confrères Christian de Portzamparc, Maud Caubet, Chartier-Dalix et Anne Démians, nous avons, par ailleurs, participé à une réflexion initiée par Groupama Immobilier sur les espaces communs et les déplacements doux du quartier. Le projet Tablesquare que nous avons livré au cœur du quartier vise également à reconstituer des espaces publics à échelle plus domestique avec une offre de restauration et des espaces adaptés aux attentes spécifiques des utilisateurs du quartier.

Enfin, ces questions sont complexes et de nombreuses idées reçues ou simplificatrices sont lancées sur la « bonne » trajectoire de transformation de la Défense. Il est de notre responsabilité d’apporter toute notre expertise pour une objectivation des enjeux environnementaux d’un tel quartier. Est-il pertinent d’y concentrer encore des bureaux ? Faut-il construire de nouvelles tours ? Doit-on transformer les tours de logement à tour de bras ? Il ne s’agit plus d’avoir un avis sur la question, mais de savoir mesurer l’impact carbone de ces stratégies, tant à l’échelle de La Défense, que de ses territoires voisins.

Quelle gouvernance pour cette transformation urbaine ?

Je pense que les enjeux qui traversent La Défense sont d’un niveau d’importance largement comparable à ceux qui existaient en 1945, aux fondements du quartier. À titre personnel, je pense que l’Etat devrait avoir un rôle accru dans l’avenir du quartier. Parce qu’il n’a jamais été autant d’intérêt national de bâtir un nouveau modèle de quartier d’affaires. Parce qu’une nouvelle forme de planification devrait voir le jour en synergie avec la Stratégie Nationale Bas Carbone et que nous avons besoin d’un État fort pour faire sauter les verrous, sur la transformation des bureaux notamment. Un nouveau trépied Etat-Collectivités-Acteurs privés doit se mettre en place pour gouverner la Défense dans son entièreté et par projets.

« Un nouveau trépied Etat-Collectivités-Acteurs privés doit se mettre en place pour gouverner la Défense dans son entièreté. »

Sur la gouvernance aussi il est possible d’expérimenter. L’enjeu est grand : La Défense peut devenir nouveau modèle, un quartier exemplaire aux yeux de la trentaine de quartiers d’affaires de rayonnement mondial.

Crédit image à la une : © Paris La Défense / Michel Desvigne Paysagiste